La Peste















LA PESTE


Sur des images d'Algérie et de Bosnie, nous entendons des phrases du roman La Peste d'Albert Camus. Cette voix nous parle de l'humain, de sa mémoire, face au fléau et à la perte. ( 14 mn )

















ZANSKAR.




                                                                      ( Piano / Jamal Moqadem )













LA GRANDE PLACE



Dans un seau suspendu au ciel, un enfant nouveau né regarde le monde. Il voit quelques kilomètres plus bas une foule qui s'agite au hasard sur la Grande Place Dostoiesvski. Soutenue par une poulie, la corde qui retient le seau de l'enfant dans les airs est tendue depuis la Grande Place, nouée autour d'un chien. Ce dernier, allongé sur le flanc, somnole malgré le bruit environnant. 


Fière et insouciante, la foule tout en bas s'intrigue de ce vieil animal endormi ficelé au ciel. Sous l'effet d'une attirance inexplicable, les gens se mettent à se rapprocher du chien. Devant sa laideur manifeste quelques ricanements s'échappent. Des mots s'échangent. Certains, pris d'un désir irrépressible, se mettent alors à pousser du pied les côtes de la bête. Celle-ci dérangée de son sommeil se met à bouger quelque peu. Ses gestes fébriles déclenchent quelques éclats de voix. 


Le chien, au bout d'un certain temps, se retourne et regarde le monde qui se tient à ses pieds. Aux premières loges, une femme dérangée par la proximité de l'animal se prend d'un fou rire incontrôlable. A ses côtés, un homme âgé laisse tomber de son front de fines sueurs. Il faut en finir avec ce vieux chien ! dit-il nerveusement sans savoir ce qui le pousse. Un jeune garçon excité lui aussi par les forces en jeux, agrippe fortement la main de son père. 


Une chaleur étouffante se répand sur la Grande Place. Un vieillard, comme possédé, lance soudainement sur le chien la canne sur laquelle il se tenait. Celle-ci frappe triomphalement l'animal et le vieil homme sans appui s'effondre. La foule, heureuse du spectacle, s'empresse d'accompagner ce succès d'un cri uniforme et profond. On va tuer cette bête lâchent sans retenue des femmes blanches aux traits magnifiques. A la suite de cet appel, des centaines de pierres vinrent frapper le dos du chien. La foule, hors d'elle même, est en extase.


Sous les chocs, l'animal sursaute et se rétracte un peu plus sur lui même. Ecrasé par l'instant, il parvient tout de même à se redresser du sol. Sans signe de protestation l'animal se tient désormais debout, comme pour défier le sort implacable qui l'attend. Les rires étranges et tendus des hommes et des femmes éclatent alors de plus belle. Un vacarme sourd s'échappe jusqu'au ciel.


L'enfant là haut, blotti dans son seau, regarde la scène. Incapable de la signifier, ni de la nommer, seul un vent glacé parvient à sa nuque.


Le vieux chien en bas sous la saccade des pierres tombe plusieurs fois à terre. Il tremble et convulse désormais. Ses yeux se lèvent au ciel mais ne parviennent plus à fixer un point stable. Il redresse une fois de plus son corps et avance machinalement vers la foule. Toujours sous une influence inconnue, cette dernière cogne inlassablement de tout son poids.


Cette fois, les yeux de l'animal rejoignent le sol. Les déchirements dont il se sent traversé le dominent et le brûlent. Terrassé, il cède entièrement à la plainte d'une dernière pierre. Ses pupilles sont dilatées, son souffle diminue. A la vue de cette résignation qui s'offre à elle, la foule souriante s'abat immédiatement sur le chien. Très vite ses côtes se brisent sous les bottes des inconnus. Un bouquet de sang enduit désormais le pavé, et le vieux chien rend là son âme à l'agitation de la Grande place.


Les enfants fous de joie dansent et les chants traditionnels s'élèvent aux dessus des corps.


Sans tarder, des jeunes sous le regard des adultes, agrippent alors la corde qui entoure le chien. Usant de toutes leurs forces ils secouent cette corde avec ragent et jouissance. Là haut, le seau du nouveau né se met à se balancer franchement, hésitant toutefois à basculer. Les secousses sur la corde retentissent inévitablement sur l'enfant.


Pour la première fois, il sent une chose qui le trouble profondément. L'image d'un corps autour de lui se précise, il s'y soumet et s'y abrite. Fatalement la force et les élans répétés de la foule ont raison de l'équilibre du seau. Sans aucune résistance l'enfant tombe, jeté dans le désordre, comme une pierre entraînée par le vide.


A la vue de cet enfant chutant du ciel, les corps se figent. Une peur enfouie et familière saisit les êtres. Tous le regardent, ne sachant s'il s'agit ou non d'un mirage. Une fois renversé aux bras de la foule, les traits de son visage se crispent sévèrement. Sans comprendre les causes de son malaise, le nouveau né pousse un cri indescriptible. Ses hurlements saccadés résonnent contre les pierres centenaires de la Grande Place. Exténué par ses propres tourments, l'enfant finalement s'apaise peu à peu et se libère un instant de son poids autoritaire. 


Ses yeux retrouvent enfin une paix confortable et son corps, à bout de souffle, se laisse inviter par le sommeil. Le calme sur la Grande Place se réinstalle. On veille à envelopper l'enfant dans un drap de soie. La foule fascinée retient son souffle, immobile. Sans comprendre l'émotion qui la parcourt, elle ne peut détourner ses yeux de l'enfant qui se trouve désormais dans ses pas.













MOPTI.





                                                          









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